Nous venons d’entendre
le récit de la souffrance et de la mort de notre Seigneur. Chaque année, cette
célébration nous atteint et nous émeut. Quel courage, quel amour faut-il à cet
homme-Dieu pour aller consciemment, librement jusque-là ? Mourir seulement
par amour. D’une mort ignoble sur le bois du gibet. Mourir sans avoir, aux yeux
du monde, de ceux qui le regardent suspendu là comme on se délecterait d’un
spectacle, réussi sa mission. Voici quelques jours il entrait dans Jérusalem,
acclamé comme un roi, comme le libérateur tant attendu. Aujourd’hui, il est
lâché par tous, abandonné même des plus proches qui se fondent, anonymes, à la
foule des curieux. Des larmes coulent, celles de Pierre qui l’a renié bien
vite, celles des autres disciples prompts à l’écouter, mais si couards à le
défendre. Il est là, comme un criminel. Marie perd son enfant et se souvient du
jour où elle a répondu à l’annonce de l’Ange : « Que tout se passe
pour moi selon ta parole ».
Nous-mêmes, au souvenir
de cet événement, nous nous découvrons
aussi fragiles que les disciples. Nous sommes si hardis à nous laisser aimer,
si heureux qu’il puisse nous sauver. Et pourtant. Nous sommes bien peu disposés
à l’aimer en retour, au moins d’une manière qui réponde à son amour à lui. Nous
trouvons tous les prétextes pour ne pas trop nous donner, pour ne trop donner
notre vie à sa suite. Nous préservons notre confort, nos habitudes, nos
certitudes. Aujourd’hui, nous sommes prêts à nous laisser émouvoir. Mais comme toute
émotion, il y a là un sentiment aussi fort que passager. Que restera-t-il ce
soir, demain de cette prise de conscience. Ne vous dérobez pas ! Il n’est
pas mort pour une foule anonyme, foule sentimentale en quête d’idéal. Il offre
sa vie pour toi, pour chacun et chacune ici. Notre relation au Christ n’est pas
impersonnelle ; elle est au contraire d’abord personnelle. Celui qui n’a
pas saisi que le Christ le sauve, lui donne la vie, le prend dans son amour,
celui-là ne pourra pas le suivre, ou il le suivra un instant seulement.
Il y aurait tant de
raisons à nous culpabiliser, à trouver que nous sommes indignes d’un amour qui
va jusqu’à la mort. Et ce serait vrai. Nous pourrions éprouver de la honte.
Nous aurions tort. Paradoxalement, aujourd’hui, nous devons être dans la joie
parce que nous avons là, devant les yeux, la gloire de Dieu qui se révèle. Dans
un instant, en vénérant tous, les uns à la suite des autres, la croix, nous
nous agenouillerons devant la gloire de Dieu.
Le Christ, lui le Verbe fait chair, « le Verbe qui était Dieu » (Jn 1), n’avait pas en lui de quoi mourir pour nous. C’est cette chair mortelle, qui est la nôtre, et qu’il décide de partager qui lui permet de nous donner sa vie. Nous, marqués par notre péché, nous n’avions pas de quoi vivre. Notre existence était marquée par la mort qui venait y mettre un terme définitif et indépassable. Alors voici que Dieu a consenti à un échange réciproque. Il prend sur lui notre mort, l’assume, passe au travers ; et nous, mortels, nous bénéficions d’une vie qui désormais est appelée à ne plus finir. « Ce qui vient de nous, c’est par cela qu’il est mort ; ce qui vient de lui, c’est par cela que nous vivrons » (Augustin, Sermon sur la Passion du Seigneur).
Ne rougissons pas !
Au contraire, réjouissons-nous de la mort du Seigneur et trouvons-y notre
gloire. Aujourd’hui, Dieu règne par la Croix de son fils. Jésus ne fait qu’un
avec le projet de son Père : qu’aucun homme ne soit perdu. Le Père aime le
monde. Jésus nous révèle que rien ne pouvait arrêter cet amour. Mais cela a une
conséquence pour nous : c’est toute ma vie qui est entraînée dans le sillage de
cet élan de telle sorte que je ne puisse rien faire ou rien dire qui aille
contre la vie que Dieu veut pour nous. Que cet amour déraisonnable vaille la
peine de donner sa vie : bien des hommes et des femmes aujourd’hui le
manifestent dans la gloire discrète de leur humble existence. Ce que Jésus a
choisi aujourd’hui, ce n’est pas la mort. Mais orienté entièrement vers Dieu,
il n’a rien entrepris contre le dessein de son Père. Aujourd’hui l’amour de
Dieu règne dans le cœur de Jésus Christ sur la Croix. Il est pour nous.
Laissons-nous attirer par ce roi de gloire.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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